Le jour du crash

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Pour elle, ce jour a été de courte durée. L’océan a avalé son avion au cœur de la nuit. Le spectacle a dû être saisissant, en raison de l’explosion et de la vitesse de descente. Mais personne n’a rien vu.

Pour nous, la journée a été interminable. J’ai appris la nouvelle tôt le matin, un peu par hasard. Il était clair qu’il n’y avait pas de survivants. Et à ce moment, moi aussi, je suis un peu morte en dedans.

L’accident de maman marque les esprits. Parce qu’on n’est pas censés partir de cette façon. L’esprit de ceux qui l’ont connue, mais aussi de tous ceux qui apprennent la nouvelle depuis ce jour. Ça crée immanquablement un malaise palpable. Les gens ne trouvent pas les mots. Et je ne les trouve pas toujours non plus. Des mots de circonstance, il n’y en a pas vraiment.

Dans les semaines qui ont suivi l’accident, j’avais la carlingue fatiguée et le poste de commande embrouillé. Tant bien que mal, j’ai évité mon propre écrasement. En ignorant l’appel de mon propre vide, en visitant parfois la démesure, en flirtant avec un désir de vivre à voix haute, en me raccrochant à tout ce qui pouvait me redonner des ailes. C’est ainsi que je me suis reconstruite.

Maman est partie derrière un nuage. Mais pas avant d’avoir transmis, d’une part, la virtuosité avec laquelle elle savait reconnaître – ou construire – les petits plaisirs du quotidien, et de l’autre, son goût de l’aventure, de l’apprentissage, son amour du voyage et des découvertes, et ses rêves d’ailleurs.

À peine quelques heures avant que l’appareil ne s’abîme au large de Nantucket, maman était en route vers l’Égypte, mais aussi vers une certaine liberté que lui permettait sa retraite récente. Elle s’en allait enfin découvrir un nouveau coin du monde Mais c’est plutôt mon père qu’elle est allée rejoindre pour poursuivre leurs folles aventures à deux. Lui non plus ne s’est jamais rendu à la retraite. Le couperet était déjà tombé pour lui 10 ans auparavant : cancer.

Inutile de verser dans le misérabilisme. Mais cette série d’événements marquants m’a vite fait comprendre que je n’avais aucune envie d’attendre avant de vivre. D’attendre d’être plus âgée, d’avoir toujours un peu plus d’argent pour réaliser les rêves qui me font sentir vivante, d’attendre d’avoir le temps, d’avoir une meilleure sécurité d’emploi, que les enfants soient plus vieux, d’avoir assez de RÉER, d’être enfin à la retraite. Pour moi, cette attente aurait signifié fermer les yeux un peu trop longtemps.

Ma trajectoire, même perturbée, s’est poursuivie. J’ai terminé un premier bacc. J’ai combattu l’inertie. J’ai repris bien vite les voyages. Plusieurs. J’ai alimenté mes intérêts, dont celui du cinéma de répertoire. J’ai repris de l’altitude et une certaine vitesse de croisière. J’ai rencontré celui qui est devenu mon ami et mon mari, et à deux, nous sommes repartis. Avec Nicolas, j’ai ouvert grand mes ailes. Je les ai repliées quelques années, le temps de couver nos oisillons. Notre grand voyage d’un an en sac à dos avec les enfants sera une belle occasion de les déployer de nouveau pour laisser les petits-enfants de Carole et Jean-René faire leurs premiers pas à leur tour. Une occasion de leur insuffler le courage de prendre leur envol le moment venu et de vivre leurs propres expériences à hauteur de cœur.

Le jour du crash, j’ai cru avoir sombré. J’ai pourtant appris à vivre avec des blessures qui ne disparaîtront jamais complètement et qui influencent ce que je deviens et ce que je transmets à mon tour à mes enfants. Au fond, c’est peut-être ce jour-là, il y a plus de 18 ans, que le projet de voyage a commencé à se dessiner.

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6 commentaires

  1. Ma chère beautiful lady merci avoir partager je ne peut être indifférent a 5:38 ce matin ici je prend mon café yeux plien d’eaux. If Carole et Jean_Rene are looking down at all of you I am sure they are sending you a wink et il souffle le vent Dan’s vos dos go go moi je vous souffle le vent de l’automne go go beautiful pas perdu xxx voisine du 10

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  2. Écrit avec ton coeur, inspiré par la vie de tes parents, cet article est tellement bien imagé qu’on croirait vivre avec toi ce crash . Faut dire que ce crash , je l’ai aussi vécu il y a 20 ans ,via ma mère qui a perdu une amie/cousine ce jour là.
    Josiane , tu as une belle écriture . Je te lis toujours avec grand plaisir.

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